Où sont nos enfants?
Ambassade d’Italie, Tunis. Ciel dégagé, coeurs lourds.
Il est 10 heures ce matin lorsqu’une dizaine de familles tunisiennes de disparus en mer “guidée” par Imed Soltani, leader charismatique de l’association La Terre pour tous, prépare sa « zone de combat ». Côte à côte sont exposées les photographies des jeunes hommes disparus, ainsi que des drapeaux de la Palestine, symbolisant la lutte pour tous les enfants. Hier soir et aujourd’hui, des centaines de manifestants ont investi les rues de la capitale dans le cadre d’un mouvement de protestation national contre les attaques de l’armée israélienne visant des civils palestiniens.
L’objectif ? Interpeller l’ambassade italienne pour obtenir des réponses sur les proches disparus en Italie ou dans les eaux italiennes depuis des mois. Malgré des échanges constructifs avec l’ambassadeur et des signes de soutien, les familles des disparus fustigent le silence de l’Etat. Les cris des manifestants résonnent : « Où sont nos garçons ? ». Sous le regard scrutateur puis compréhensif de la police, j’improvise une « video booth » – installation vidéo- avec, pour fond, une couverture de survie. Cette « vidéo booth » permet de laisser une trace, de créer un registre des disparus en les humanisant, tout en laissant le soin aux familles de s’exprimer librement.
Avec mon équipe, Hamza, Alya et Dhia, qui tour à tour, cadrent l’image, introduisent le propos et traduisent, nous entendons créer une brèche dans le mur du silence. Pour inviter les familles à partager leurs recherches pour retrouver leurs proches disparus, mais aussi à raconter leur résilience. Mettant ainsi en lumière combien le silence de l’Etat sur les disparus impacte les familles.
« Nous voulons simplement avoir de leurs nouvelles, qu’ils soient morts ou vivants. Je jure que nous accepterons même la mort », confient ainsi d’une même voix les parents de Mahmoud Ghbantini, disparu le 31 octobre 2019. Ces derniers ont parcouru près de 550 kilomètres pour assister à la manifestation du jour.
« Ce n’est pas normal de détenir une personne pendant quatre ou cinq ans sans lui accorder le droit de contacter sa famille. Il n’est pas un criminel ! » lance la famille d’Oussama Al-Saïd, supposément détenu en Italie depuis 2019 avancent ses proches, preuves à l’appui.
“Certes, la vérité est amère, mais nous l’avons acceptée depuis douze ans. Nous voulons simplement des éclaircissements”, corrobore Hajer, membre de l’association Mem-med basée à Palerme, portant un tee-shirt à l’effigie de ses deux enfants. Ces derniers ont disparu en mer ou sur le sol italien en mars 2011 dans d’étranges circonstances avec de nombreux compatriotes tunisiens.
A la fin de cette journée de manifestation, la « vidéo booth » est adoptée. L’engouement est unanime. Etape suivante? Placer ses messages sur la plateforme que vous lisez actuellement « Bouteille à mer ». Des bouteilles sont lancées pour donner vie à cet outil militant et artistique, conçu dans la rue aux côtés des familles, des militants. De ma propre famille.