Ils et elles partent avec une myriade de rêves et d’attentes en tête, dans l’espoir toujours renouvelé d’améliorer leur vie et celles de leurs proches. Au gré des pérégrinations, certain.e.s arrêtent pourtant de donner des nouvelles à leur famille. A l’improviste, sans préavis. Alors, pour ceux et celles qui restent une angoisse pernicieuse s’installe. Leur est-il arrivé quelque chose ? Si oui, quoi ?
De nombreuses familles se font alors détectives, pour retracer le chemin parcouru par leur proches disparu.e.s. Bientôt, on est convaincu.e.s qu’ils et elles sont emprisonné.e.s quelque part. Ou pire, la tragédie indicible, la personne est morte.
Certaines mères, dévastées, préféreraient savoir que l’être cher disparu est décédé, plutôt que d’être plongées dans un interminable silence. La disparition est une douleur constamment renouvelée, difficile à gouverner, qui désoriente, désorganise et blesse profondément. C’est ce que confie Leila, maman de Bader, disparu le 27 juillet 2022. Plutôt qu’aller à la dérive sans point de référence, elle affirme qu’elle serait prête – enfin – à entendre le pire. Cela lui permettrait, peut-être, de faire son deuil. “La terre absorbe et le cœur guérit”, pose-t-elle doucement.
La présente plateforme ambitionne de fédérer les recherches des personnes disparues, qui sont parties et/ou passées par la Tunisie, sans faire de hiérarchie ou de distinction d’origine ou de genre. Une plateforme qui se veut aussi être un outil artistique et militant, à destination des familles de disparu.e.s. Des familles qui sont invitées à s’approprier cet outil afin de devenir protagonistes d’actions de mémoire et de dénonciation.
“Où sont nos garçons?”. Inlassablement, les familles de disparu.e.s posent cette simple et puissante question, en brisant le silence que l’absence impose. Comme un défi lancé aux politiques migratoires européennes qui anonymisent les victimes. A cet anonymat, les familles sont invitées à opposer l’humanité de leur proche disparu, en leur donnant un visage. En fabriquant des traces.
Aux familles des disparu.e.s, nous répétons : Prenez cet espace, c’est le vôtre. Cette plateforme ne peut vivre que par l’interconnexion des familles, des associations locales engagées dans la lutte pour la dignité des personnes, et des militant.e.s d’ici et d’ailleurs.
L’idée de cette plateforme collaborative remonte à il y a un peu plus d’un an. Nous nous trouvions alors dans une galerie d’art à Sousse, quand Layla, Dalila, Rachida, Souad,
et Imed réalisaient leur première « bouteille à la mer ». Le public ne s’attendait pas à ce type de rencontres dans un espace artistique. Cela nous a poussé à nous poser des questions. Peut-il exister un art engagé dans un pays qui écoute difficilement les revendications des familles? Nous voulions alors créer un projectile symbolique pour les prochaines manifestations, pour crever l’écran et les cœurs de ceux qui ont envie de nous écouter !
Nous remercions infiniment toutes les familles qui, depuis, ont pris le soin et le temps de partager leur souffrance et leur résilience, ainsi que toutes les associations qui luttent infatigablement pour rendre visibles les personnes disparues. Merci de nous avoir accueillies dans votre équipage, et de participer à cette œuvre militante d’art engagé. Votre activisme nous enseigne à survivre, à résister, et à combattre, face à l’effacement meurtrier.
Nous vous sommes solidaires!
Séverine Sajous – Collectif Jungleye
